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25/07/2016

INDÉCENCE ÉLECTORALE

Dans notre système obsédé par les échéances électorales (de toutes natures, des plus improbables comme les primaires jusqu'aux primordiales comme celle de la présidence de la République) toute la communication et les rapports sociaux sont profondément perturbés par ce tourment permanent.

Chaque responsable de parti, chaque petit responsable tout court, observe des postures "fabriquées" afin que ses dires ne puissent pas nuire à la prochaine échéance. Ceci se traduit au minimum par une langue de bois et, au maximum, par des travestissements de la vérité pour ne pas employer le terme de mensonge. Ce maquillage de la communication politique – souvent retravaillée par des experts - est devenu une constante, au point où chaque récepteur soit glisse sans écouter, soit cherche le contenu caché comme s'il n'y avait plus de "parler vrai" comme le souhaitait feu Michel Rocard qui vient de nous quitter. "L'existence même d'un choix de thème central aux allures de leitmotiv marque un début de censure par la volonté de réduire les échanges à quelques grandes lignes, plus ou moins modulables autour de ce seul thème, ou presque"*. Cette quasi censure se généralise car chaque communicant public se croit mentaliste (capable d'influencer la pensée d'autrui**).

Cette inconsistance électorale pollue gravement la démocratie en provoquant une "asymétrie de l'information" entre  ceux qui savent mais ne disent pas et ceux qui croient ou ne croient pas par principe. On se retrouve avec des clivages factices comme le Brexit anglais l'illustre parfaitement. Tout le monde ayant plus ou moins menti, les électeurs se retrouvent plus ou moins bernés une fois le scrutin clos. Ceux qui ont cru les discours sécessionnistes s'aperçoivent que les arguments s'avéraient partiels et partiaux. Idem pour leurs opposants. A l’instar de la malbouffe qui désigne à la fois les productions d’une industrie agroalimentaire axée sur le profit et nos propres habitudes alimentaires déséquilibrées, la mal-information désigne à la fois les discours fabriqués par les locuteurs, les medias produits par l’industrie de l’information et nos propres habitudes de s'informer.

Cette inconsistance de l'information politique prend des proportions d'imposture quand elle met en jeu la sécurité du pays. Ainsi le gouvernement Valls ne cesse de "couvrir", "minimiser", "défausser"…  les erreurs patentes des services policiers lors des divers attentats, en les congratulant, en les félicitant c'est à dire en ne corrigeant pas les failles niées. Dans une démocratie digne de ce nom, le ministre de l'intérieur aurait dû donner sa démission dès le premier soir en tant que responsable hiérarchique d'une administration ayant failli. Non pas qu'il ait failli personnellement mais selon une règle républicaine éthique, quitte au président d'accepter ou non cette démission et de s'en expliquer. Eh bien non! A tous les coups Bernard Cazeneuve endosse son costume d'excellente facture, rajuste sa pochette, sangle sa cravate noire et explique que le verre est à moitié plein, évitant de s'intéresser à  la partie vide dudit verre. Des sanctions? Vous n'y pensez pas! Tout va très bien madame la marquise! Une fronde du GIGN? Mais non, c'est de la jalousie malsaine! Erreurs de sécurisation à Nice? Mais non c'était imprévisible!... On l'a chargé de rassurer l'opinion quoiqu'il arrive et il le fait avec une posture d'incorruptible qu'il campe sans honte ni modestie. En second rideau, Valls et Hollande tentent de ramasser les voix électorales ou plutôt de ne pas les perdre. Car en face, ce n'est pas mieux! Il faut taper sur l'ambulance pour l'affaiblir encore et tout est bon pour dénoncer ici la moitié vide. Sarko, Le Pen, Estrosi, Juppé, et cie ont oublié l' "union nationale" des attentats du 13 novembre pour préparer la primaire préambule au grand galop et sabre au clair. Chacun y va d'un "y-a-ka", "il eut fallu",… discours tellement outrancièrement clivés que tout débat s'en trouve confisqué. Or la démocratie réclame, avant tout, un débat serein et argumenté.

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Hollande, en clerc de notaire jouant le guerrier, a fait preuve de sa pauvreté de communication en donnant comme défausse (car c'en était une!) l'accentuation de nos frappe aériennes là bas. Là bas, car ici il faut slalomer pour garder des groupes favorables. Ne pas parler de musulmans mais de salafistes, ne pas effaroucher les bonnes gens, dire que l'on nous attaque à cause de notre vie joyeuse et un peu dissolue. Continuez de faire la fête pour les défier! Pourtant c'est bien parce qu'on leur balance des bombes sur la tête que nous sommes la cible des djihadistes***.  Ne pas parler de financement du terrorisme pour ne pas fâcher nos gros clients, ne pas évoquer la Syrie où nous pataugeons allègrement, ... Cazeneuve insistant prioritairement sur le fait que le camionneur fou n'avait pas de fiche S (parce qu'avant…).

Dans cet univers excessif préélectoral où s'exacerbent les outrances écrites et verbales, les diatribes, les invectives ou les insultes ne feront jamais argument. Elles ne servent qu'à cliver davantage ou à décourager l'électeur. Quand les élus du peuple s'acusent mutuellement de mensonge aux vues et sus de tous, la qualité démocratique en prend un sacré coup!

Ce détournement de communication à visée électorale s'avère selon moi, une trahison de nos hommes politiques car il masque les enjeux profonds, les défis qui traversent notre époque. Et évite de les traiter!

Nous ne sommes pas dans un monde apaisé nourri de croissance et de travail mais dans une crise cruciale. En biaisant les faits pour se les rendre favorables ils s'économisent de débattre au fond sur l'essentiel: la nature sociétale, économique et écologique de nos lendemains. Sur une prise à bras le corps du phénomène de l'islam radical en n'occultant pas nos faux amis, fussent-ils richissimes.

Le hic réside dans le fait qu'il ne faut pas se noyer dans une infinité de petits détails, de petites avancées (ou reculades) qui masquent là aussi l'essentiel, mais prendre deux ou trois décisions drastiques (courageuses) sur le mode de production, le capital et la laïcité.

Le mode de production pour qu'il réintègre l'humain et l'écologie, le capital parce qu'il impacte toutes les relations de pouvoir, la laïcité enfin car l'islam radical est beaucoup plus qu'une religion. Il se veut un cadre politique, social, juridique et institutionnel déterminant totalement la vie de chacun. 

Combien faudra-t-il encore d'échecs pour que le Socialisme ne trahisse pas ses valeurs? Combien faudra-t-il encore de décès pour que les élus de tout bord résistent aux lobbies? Combien faudra-t-il encore de morts innocents pour que la République ne mente pas à ses enfants?

  

* Le Marketing Politique. Ou L'art Du Mensonge Electoral.  Alain Astouric. Economie Matin. 20/08/2014.
** voir par exemple “Mentalisme en Action” de Philippe Peytroux. Editions Pandore.
*** après Alep et Idlib, voir "Le carnage de Toukhar" Le Monde du 23/07/2016

04/07/2016

APOLOGIE DES MANSOS

J'aime bien les allégories et parmi mes allégories préférées il y a la tauromachie. Elle représente en effet une métaphore riche de la société, illustrant le combat singulier de l'ordre (toréro) dominant, contre le désordre (l'animal) et tous les ingrédients qui en découlent.

Aujourd'hui, je vais m'attacher à une controverse (pas celle de Valladolid!): les toros mansos, les plus méprisés, ne sont-ils pas les plus utiles à la corrida?

On appelle dans le jargon toro manso un exemplaire qui ne favorise pas le spectacle (la faena) selon des normes majoritairement admises. Il ne charge pas ou peu, quand il le fait il ne baisse pas la tête, jette les pattes, il ne se laisse pas abuser par le leurre de la cape, il rechigne à se faire piquer par le picador, s'entête à rester sur un terrain précis… Le toro brave (bravo) fait tout cela convenablement, c'est à dire selon les canons tauromachiques qui aident le matador sans le mettre trop en danger. On comprend aisément que ce dernier type de fauve s'avère celui préféré des apoderados (agents des toreros), des toreros et de certains spectateurs "imbéciles heureux"! Ledit type de partenaire est parfois qualifié de soso (« fade »), c'est-à-dire donnant un combat sans relief et ennuyeux parce que facile à berner. Alors, il faut se poser la question si ce n'est pas plus intelligent de pourrir le combat, de le rendre difficile, de ne pas consentir à la domination pour aller s'offrir noblement à l'estocade. Alors, il faut mettre en exergue les mansos pour révéler la qualité de celui qui doit toréer en le faisant plus intelligemment, adapter au mieux son pouvoir ordonnateur. Les mansos ont le privilège de sortir la corrida de son ordinaire pour transcender les vertus du combat sacrificiel. Ce sont des toros aporétiques (Jacques Durand Les toros, en leur grande mansuétude. Libération 28 décembre 2006).

Dans la  société, à l'instar de la corrida, les dirigeants ont pris l'habitude de toréer des opinions faciles et sont désarçonnés sitôt qu'ils rencontrent un peuple manso. Alors ils ont tendance à mépriser cette catégorie d'individus. Ou à les châtier avec des mesures coercitives (banderilles noires du 49-3). On se retrouve avec de plus en plus de lots de mansos: Tsirias, Podemos, Cinq Étoiles,… à gauche, divers partis d'extrême droite… à droite!

Le Brexit trouve ainsi racine dans une partie manso du peuple britannique (selon les commentateurs orthodoxes)… qui s'avère in fine être la majorité! À la raison économique libérale du Remain se sont opposés les "esprits animaux" (les sentiments et les émotions humaines qui influencent le comportement des agents économiques et qui en biaisent la rationalité potentielle) chers à Keynes et ses partisans. A vouloir faire parler le "peuple anglais", Cameron, selon une tentative de captation de la puissance de la multitude (perçue comme rationnellement favorable à l'U.E.) pour asseoir sa politique, a donné malgré lui, la parole aux affects différenciés des catégories sociales anglaises. Ainsi le "brave" trader londonien, souvent jeune, aisé, nomade et polyglotte, n'a rien de commun avec le rural terrien nationaliste "manso" des Midlands.Brex.jpg

Cela pose trois problèmes.

D'abord la notion de norme de raison: est-ce la raison ordo capitaliste rhénane (de la "manade" de Fribourg) qui incarne la seule voie européenne souhaitable? Peut-être pas. L'aversion de U.E., majoritaire dans le référendum anglais, découle moins d'un vote pesant risques/avantages selon l'anticipation des dirigeants que d'un déficit d'adhésion à une institution bruxelloise mal connue, jugée intrusionniste et portant les stigmates d'une opposition ancestrale. Il semble que cette aversion s'étende rapidement dans les peuples européens.

Le second problème réside dans le choix de "passer en force" plutôt que d'essayer de trouver un terrain d'entente contribuant à un travail en commun valorisant. Les gouvernants, comme les maestros ont tendance à "ne pas vouloir voir" ces "mauvais sujets" et s'en débarrasser le plus rapidement possible. Pourtant, les mansos ne demandent pas mieux que d'être bravos à condition que le torero sache lui donner les raisons suffisantes de le devenir. Pour cela il faut exercer du savoir faire. Il y a sans aucun doute une carence de gouvernance à Londres, comme à Bruxelles, comme à Paris,… qui fait que l'adhésion à la politique menée ne correspond pas aux affects du peuple. Il est clair qu'une bonne faena nait de la dialectique toro/torero et non du seul maestro. Ce dernier doit trouver les bons arguments pour faire sortir le manso de sa querencia (camper sur sa position), comme Hollande-Valls devrait créer les conditions de sortir les syndiqués de leur querencia! Les grands toreos de mansos sont plutôt de fins connaisseurs de l'âme taurine. Le maestro, selon Espla, est alors comme un peintre confronté à une grande toile qui lui demande d'"être capable de mettre un peu d'ordre dans tout ça". Quelle fresque attrayante nous peignent les dirigeants européens?

Le troisième point s'avère récurrent. La corrida ne se limite pas à un ordre froid d'enchainement de passes fut-il aussi rigoureux que possible. Il y a aussi de l'affect, de la musique, de la couleur, du soleil, de la fête. C'est une "fiesta brava". Il n'y a pas que  les budgets, les déficits, l'inflation et autres austérités dans l'affect des peuples. Le désamour observé c'est avant tout le produit de "la résonance affective, physiologique et comportementale d’un différentiel entre des traits perçus (ou imaginés ou pensés) de la situation en cause, et le prolongement des pensées, imaginations, perceptions ou actions actuellement en cours. Ce différentiel est apprécié relativement à nos orientations affectives actuelles (désirs, préférences, sentiments, humeurs), que ces orientations soient déjà actives ou qu’il s’agisse de nos dispositions actuellement activables"*. Pierre Livet établit ainsi la meilleure analyse du triomphe du Brexit et d'échec de la loi El K.. À la raison économique ordo libérale du Remain se sont opposés les "esprits animaux" (les sentiments et les émotions humaines qui influencent le comportement des agents économiques et qui en biaisent la rationalité potentielle) partisans affectivement du Brexit. Idem pour le "Nouveau droit du Travail". Même en univers strictement économique on connaît cela sous le nom de sélection inverse (développée par George Arthur Akerlof**) selon laquelle une offre faite sur un marché aboutit à des résultats inverses de ceux souhaités à cause de l'asymétrie de l'information. La thèse vaut pour le marché politique. La différence entre la "contrainte" et le "consentement" est celle de la tristesse et de la joie et non celle de l'hétéronomie et de la liberté selon Lordon***. L'opinion peut consentir à des sacrifices si le maestro y met une empathie suffisante et un "emballage" séduisant. Le même Espla compare le manso à "un enfant timide, un peu idiot, qui demande à se sentir en confiance, dans un bon climat qui le valorise". L'image peut être appliquée à l'opinion.

Cette réflexion métaphorique tend à éviter les "grands mépris" dont font preuve les dirigeants envers les mansos de tout poil (chômeurs, pauvres, petits paysans, émigrés, chef de PME, opposants, adversaires,…) en espérant que les conditionnements de toute sorte qu'ils mettent en œuvre aboutiront à un univers uniquement constitué d'individus de leur avis. C'est une forme de fascisme car le fascisme ce n'est pas empêcher de dire, c'est obliger à dire. Roland Barthes (Discours au Collège de France, 1977.)

 

* Pierre Livet. De la perception à l'action : contenus perceptifs et perception de l'action. Vrin. 2000
** Georges Akerlof est professeur à l’université de Berkeley, prix Nobel d’économie en 2001 et doit une bonne part de sa célébrité à un article fondateur sur les imperfections du marché, où à travers l’exemple des voitures d’occasion il met en évidence une situation d’asymétrie d’information engendrant un phénomène de sélection adverse. Voir: George A. Akerlof et Robert J. Shiller,Les Esprits animaux : comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie, Pearson,2009.
*** Frédéric Lordon."La société des affects - pour un structuralisme des passions" (Seuil)

30/05/2016

LA DÉRIVE VERS LE SOFT LAW

Dans le conflit sur la loi El Khomri (EK) un aspect fondamental me semble absent des commentaires médiatiques: la tendance néo libérale – hélas relayée par le gouvernement Valls -  à promouvoir un soft law, un droit mou.

Cette tendance marque un virage fondamental dans la conception républicaine française qui s'est construite sur l'axiome d'un droit dur c'est à dire une essence juridique faisant de la loi impérative la règle des rapports sociaux. Je ne sais plus qui a dit "le droit de la loi et non le droit des plaideurs" pour exprimer la primauté de la loi régalienne sur le contrat.

Mais dans une lente dérive vers une société liquide dénoncée par Zygmunt Bauman, les néo libéraux martèlent le besoin impératif d'ôter les obstacles à la "libre concurrence" entre les entreprises, les individus, les capitaux, les pays. Contrairement aux "structures" de naguère, dont la raison d'être s'efforçait d'attacher les choses et les gens par des nœuds difficiles à dénouer, aujourd'hui les "réseaux" servent autant à déconnecter qu'à connecter... Notre "société individualisée" est une sorte de pièce dans laquelle les humains jouent le rôle d'individus : c'est-à-dire des acteurs qui doivent choisir de manière autonome (Entretien avec Zygmunt Bauman. Vivre dans la "modernité liquide". Xavier de la Vega.). Tout cela semble de prime abord une libération (et le libéralisme joue là dessus) mais, en réalité, jette les rapports sociaux en pâture aux rapports de force.Hard.jpg

Le droit mou réunit à la fois des dispositions figurant dans des textes législatifs et réglementaires mais au contenu normatif incertain (imprécis) et des instruments dotés d'une portée impérative tout aussi incertaine : recommandations, guides de bonne pratique, codes de bonne conduite chartes, protocoles, auto discipline, etc. On assiste ainsi à la multiplication d’instruments qui relèvent du droit tout en étant dépourvus de force contraignante.  Cette tendance a été admise par le Conseil d'État qui s'est prononcé favorable au droit "souple" dans son étude annuelle du 2 octobre 2013, non sans relever certains risques. Tout d’abord, un risque de défaut de légitimité et de respect des champs de compétence ; le risque aussi d’utiliser le droit souple pour contourner les obligations du droit dur. On mesure la largeur du "trou noir" qui peut en résulter pour les plus fragiles ou défavorisés!

On nous demande de consentir à une vision du droit "de plus en plus floue, de moins en moins claire, en nous faisant avancer dans le brouillard vers un avenir censément radieux, dont les contours nous semblent de plus en plus obscurs" (Alain Rémond, "Un consentement éclairé", La Croix, 7 avril 2016).

Le droit du travail qui représente l'enjeu majeur de la loi EK s'avère, bien sûr, le cœur de cible de cette manœuvre d'abolition des obstacles. La loi (le code du travail) est là pour protéger le plus faible et, hormis pour des dérogations explicites, prévaut dans la relation patron/salarié. C'est du droit dur et impératif et quiconque y déroge est soumis ou fourches caudines du juge. A l'inverse, le MEDEF aspire à un droit souple ramenant au niveau de l'entreprise la négociation du contrat de salariat, la banalisation de l'autorisation de licencier et à une limitation stricte du pouvoir du juge de sanctionner les dérives (plafonnement des peines). Dans une conjoncture de marché du travail tendue, cette flexibilité accordée au pôle capital ne peut que léser le pôle salarié. Le droit mou contribue implacablement à des rapports sociaux déséquilibrés et le motif de compétitivité avancé n'est qu'un leurre. L'exemple avancé des pays scandinaves s'avère fallacieux car il s'agit pour eux d'une flexisécurité, où la flexibilité est compensée par une forte sécurisation des situations individuelles. Quant au prétexte avancé, celui de la lutte contre le chômage, il n'a aucune vérification sérieuse. Le credo néolibéral selon lequel, l’affaiblissement du droit des salariés conduit automatiquement à des hausses d’emplois a été infirmé par pléthore d'études empiriques (notamment travaux d’Anne Eydoux et Anne Fretel).

L'offensive contre le CDI découle de la même veine visant à accélérer la fluidification de l'économie en faisant glisser une obligation de droit dur à une  convenance flexible. On peut relever la similitude de la loi EK avec celle de Mario Renzi en Italie dite Jobs act. Le Jobs act est l’introduction d’une nouvelle forme de contrat qui se substitue au CDI et aspire à devenir la forme majeure de contractualisation sur le marché du travail. Ce nouveau contrat, appelé "contrat à protection croissante", ne prévoit notamment aucune obligation de réintégration des travailleurs en cas de licenciement abusif. Cette réforme donne aussi la possibilité aux employeurs d'user de dispositifs électroniques pour surveiller les salariés. Ces changements participent de la définition d’une norme d'individualisation destinée à transformer radicalement les relations capital-travail en Italie. Le travailleur se retrouve isolé face aux pouvoirs des employeurs, au prétexte d'éradiquer le chômage.

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Pour revenir à la France, le gouvernement vallsien, s'il pousse au développement du droit mou pour l'économie (en surenchère avec Macron), convoque par contre massivement le droit dur, voire d'exception (état d'urgence  prolongé, 49-3, …) pour imposer ses vues et assurer la sécurité. On ne peut s'empêcher de penser que cette "schizophrénie juridique" relève très souvent des régimes dictatoriaux même si nous sommes encore loin de ce stade. N'empêche qu'elle justifie une surveillance accrue de la part des contre-pouvoirs.

D'autant plus, hélas, que cette tentative de forcer les choses pour accélérer la dérive du dur au mou avec toutes les conséquences évoquées ne représente qu'un hors-d'œuvre. Le traité TAFTA* que l'Europe s'apprête à cosigner avec les U.S.A. comporte une clause prioritaire de généralisation du droit mou, c'est à dire un droit favorable aux (grandes) firmes prévalant même sur le droit des États en matière économique. Le projet de traité prévoit la création d’un mécanisme juridique dit "Investisseur-Etat" offrant des droits exorbitants aux entreprises. Concrètement, cette disposition donnerait à toute entreprise américaine investissant dans un pays européen le droit de réclamer devant un tribunal d’arbitrage privé des dédommagements financiers de la part d’un État dont une nouvelle loi, ou une norme, seraient de nature à porter atteinte à aux profits actuels ou envisagés de l’entreprise contrariée. Et si le TAFTA échouait, les multinationales n’auront plus besoin de lui s’ils ont le CETA**. Elles passeront par leurs succursales canadiennes pour faire valoir en Europe les conditions qu’elles souhaitent. Nous ne pouvons pas combattre le TAFTA sans combattre le CETA.

La déstructuration larvée des protections empêchant les puissants d'exploiter les plus faibles constitue une atteinte grave à nôtre modèle social républicain. Ce modèle "solide" (au sens de ferme et de stable) se trouve sous la menace d’une mondialisation "liquide". Pourtant il fait montre d’efficacité pour limiter les inégalités, pour atténuer la ségrégation urbaine (même si l’identification de ghettos n’est plus contestée) et pour toujours permettre à la France de se situer au premier rang, dans les classements internationaux, en ce qui concerne la qualité de vie***. Selon l’OCDE, la France se caractérise par un niveau d’inégalités de revenus relativement limité et stable dans un contexte où celles-ci s’accroissent rapidement ailleurs. La tendance française, qui oscille historiquement entre les logiques bismarckienne, libérale et socio-démocrate, souhaite de manière implicite une hybridation, plus qu’une refonte. Ses hésitations électorales en témoignent et appellent des dirigeants plus astucieux dans la dynamique que brutaux dans les mutations ou fascinés par des potions magiques libérales.

Cela part "de trois bouts",

- la démocratie sociale active et ascendante à partir d'une revitalisation du tissu associatif et une transparence des données pour tous

- un repositionnement de l’État modèle dans son rôle régalien et garant des équilibres sociaux laïques via un droit équitable et compréhensible.

- Enfin la révision d'une action européenne plus axée sur la solidarité des peuples que sur les stratégies financières.

 

*Depuis 2013, le traité Tafta (pour Transatlantic Free Trade Area) a été rebaptisé TTIP, pour Transtlantic Trade and Investment Partnership, ce qui donne PTCI en Français.
** projet d’accord entre l’UE et le Canada,
*** Julien DAMON. Le modèle social est-il soluble dans la mondialisation ? in Les Cahiers français, n° 367, 2012.