compteurs visiteurs gratuits

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2018

JUPITER LE PETIT

Victor Hugo orfèvre en métaphores assassines avait affublé le Napoléon troisième du nom de ce diminutif dévalorisant. Il me semble que l'on puisse utiliser la même banderille noire* pour celui qui se dit et se prend pour Jupiter. D'autant mieux que le pamphlet du grand Victor dénonce des turpitudes qui ne sont pas outrancièrement éloignées de celles dont nous sert Emmanuel Macron, ci-devant président de la République.

En effet, ce dernier à partir d'une mise en scène impériale, s'est d'abord targué de parler à l'oreille des grands de ce monde, Trump, Poutine, Xi Jinping, le Pape,… pour leur donner (dicter?) une orientation macronienne. Au delà de la visite de courtoisie, résultat nul ou presque puisque l'Américain à annulé tous les accords concernant notre pays (via l'Europe), le Russe n'en fait qu'à sa tête, idem pour le chinois… Quant au pape - qui possède assurément de l'humour - il s'est payé sa tête au travers du cadeau rappelant le partage en faveur des déshérités. Amen!

Pour l'Europe-Merkel, on allait voir ce que l'on allait voir! Manuel d'Amiens était porteur d'une NEP (nouvelle politique) qui changerait tout! Résultat: aucune des propositions ne semble devoir être retenue, et ce chou blanc se double en plus d'un conflit avec l'Italie, la Pologne, la Hongrie,… Skoll!

Retour au bercail gaulois, les succès restent maigres à l'aune de réformes passées aux forceps des ordonnances tandis que la rue bruisse encore de manifestations et que Jupiter des riches gère au mieux une piscine hors sol, de la vaisselle first quality, et des leçons de morale à un gamin pas même de banlieue!lepetit.jpg

Comme Napoléon le petit, notre héros national se prévaut d'élection démocratique qui lui confèrerait tout pouvoir, notamment celui de mépriser tout ce qui esquisse un tant soit peu de contradiction. Comme lui, il a profité du masque flou d'un faux centre pour abuser les électeurs. Le voile se déchire et, hormis les affidés et les bénéficiaires, les gens se réveillent de leur sidération lorsque leur portefeuille se trouve ponctionné indument. Les insultes répétées, ses provocations grossières, ses initiatives ostensiblement débiles (la mafia des Bretons) portent un message clair derrière cette candeur faussement spontanée : « je suis votre chef, je fais ce que je veux, comme je veux, quand je veux et, pour commencer, je vous emm… »**.

J'avoue ne pas avoir mesuré tout de suite l'ampleur du danger porté par le personnage. Le danger, en fait, réside dans la croyance d'E. Macron de détenir un pouvoir qu'il n'a pas.

Au plan international, quoiqu'on veuille dire, la France ne pèse plus que le poids d'une splendeur historique qui est en train de se faner. Nous avons perdu les variables d'action qui nous permettraient de posséder une parcelle d'impact sur la gouvernance mondiale. On peut faire toutes les rodomontades, nous ne sommes que des supplétifs de grandes nations. Le problème des migrants illustre parfaitement cette impuissance. Pourtant il s'agit d'un problème majeur qui réclamerait des solutions drastiques et novatrices.

Concernant les conflits, notre audience en Syrie est devenue confidentielle, contestée au Mali, floue en Lybie. L'Afrique en général cherche à  relancer des compromis plus ou moins clairs.

Alors, dans le carré privé français qui reste comme terrain de jeu, le "mur de verre" de la monnaie obère les ambitions réformatrices du président. Ayant abdiqué sur ce point en faveur de la BCE gendarme du déficit, le gouvernement se trouve acculé à une austérité pérenne: toute politique nouvelle est contrainte de prendre à l'un pour donner à l'autre. La seule autre issue consiste à vendre "les bijoux de famille"(aéroport, FDJ,…). Alors il faut choisir les perdants et les gagnants. Je ne vous ferai pas l'injure de vous demander qui Macron a privilégié! Dans ce domaine, le cynisme de Jupiter le petit s'avère infini. Tout ce qui de près ou de loin revêt le qualificatif de public, va subir des amputations, voire des suppressions. Avec une morgue de technocrate sûr de son fait, tout sera justifié d'une façon ou d'une autre. L'hôpital s'asphyxie, il existe des cliniques! L'université explose? Il faut que les jeunes fassent de l'apprentissage. Il manque des profs? Il y a des cours sur Internet. Les retraites sont maigres? Il faut prendre des complémentaires. Les routes sont mal entretenues? On doit rouler moins vite… Les emprunts? Ils servent à payer les intérêts de la dette (41,2 milliards d’euros dans le projet de budget 2018), obligation qui nous incombe depuis que nous ne pouvons plus mobiliser les avances du Trésor***. Ceci est le résultat de quatre décennies de propagande universitaire et médiatique encensant les préceptes de la loi du marché qui désormais sont devenus la norme acceptable en politiques publiques.

Les syndicats, les associations, les lanceurs d'alerte, les juges,… Tout cela doit se ranger derrière l'étendard de la macronie en marche! Tout cela pour favoriser l'investissement. Au motif ressassé de l'EFFICACITÉ. Sauf que cette dernière tarde à se manifester. Si on prend l'émission d'actions comme reflet de l'investissement on s'aperçoit que les facilités faites au capital ne créent pas vraiment d'engouement mais se retrouvent sur les marchés secondaires (spéculatifs puisqu'il s'agit d'actions "d'occasion"). La théorie du ruissellement, cette théorie qui prétend que les inégalités et l’enrichissement des riches profitent à tous ne marche pas. Les spécialistes neutres l'ont prévu car il est écrit depuis belle lurette que ces fameuses mécaniques libérales sont inopérantes! ****

R. Solow a été le premier à montrer que la production ce n'était pas que du travail et du capital mais aussi du progrès technique (de l'innovation pour faire simple). Or le Fonds pour l'innovation de rupture de dix milliards sur cinq ans commence à servir pour la réduction du déficit dans le budget 2018. A. Sen a rajouté la qualité de l'environnement de la production (démocratie, climat social, santé, niveau de formation,…) comme élément boostant ladite production. Et on pourrait allonger la liste!

Seules certaines collectivités locales résistent encore un peu aux diktats parisiens au motif de l'égalité des territoires et au maintien de cette qualité de vie sociale. Jusqu'à quand?

Pourtant c’est en travaillant à éliminer la pauvreté et les inégalités qu’une nation peut vraiment s’enrichir, et pas seulement avec un PIB élevé, mais surtout avec des citoyens en meilleure santé, mieux éduqués et qui peuvent se réaliser et profiter de la vie… Milton Friedman lui-même affirmait qu’il faudrait attribuer une valeur à ces concepts, afin de pouvoir mieux les intégrer et donner leur juste importance.

Voilà une voie qui valorise le facteur social dans la gestion des affaires socio-économiques, selon une nouvelle tournure socialisante.

Voilà une loi qui se vérifie partout et il faut vraiment être petit pour ne pas le savoir (et l'assumer!) voire pour la mépriser!

Accepterons-nous longtemps de crever comme des manchots ou des ours blancs en laissant les Jupiters de pacotille nier les évidences et faire prospérer les fonds vautours?

 

*En matière de corrida les banderilles noires sont utilisées de façon infâmante pour le taureau "manso perdido"
** Macron : Jupitre est-il dangereux ? Vu du droit. Blog de Régis de Castelnau. 24/06/2018
*** Ainsi, entre 1980 et 2006, la dette a augmenté de 913 milliards d'euros, alors que nous avons payé 1176 milliards d'euros d'intérêts. Si nous n'avions pas eu à emprunter ces 913 milliards d'euros sur les marchés monétaires, c'est-à-dire si nous avions pu créer notre monnaie, faire exactement ce qu'ont le droit de faire les banques privées, la dette qui était de 229 milliards d'euros début 1980 serait totalement remboursée en 2006 grâce aux  263 milliards d'euros économisés et nous disposerions en plus d'un solde de trésorerie positif de 263 - 229 = 34 milliards d'euros.
**** cf John Quiggin. Zombie Economics: How Dead Ideas Still Walk among Us (L’économie Zombie: comment les idées mortes se promènent encore parmi nous).

 

31/05/2018

DÉMATÉRIALISATION SUBJECTIVE DES INDIVIDUS

Attention, ce que je vais vous révéler est explosif! Tenez-vous bien, vous n'existez plus! Vous qui croyez encore être en chair et en os, agir dans un concret plus ou moins résistant, vous ne représentez qu'un puzzle informationnel dans un monde cloudisé. Vous n'êtes plus Jean Machin de Trifouilli–le-lac mais l'identifiant 158962 de la Big data Amazon et Apple réunis, stocké dans un "silo de données" quelque part dans les nuages (cloud). Vous n'achetez plus un produit, vous créez une subjectivation identitaire. De même quand vous regardez un film sur Netfix, idem quand vous cherchez la recette du lapin chasseur dans Internet,…. Idem quand vous suivez un itinéraire sur votre GPS. Et aussi lorsque vous téléphonez à un ami ou à la banque, lorsque vous envoyez un SMS à X, quand vous consultez les mails reçus sur votre tablette…  Vous existez au travers de l'ensemble des traces interprétées que vous générez. Capture d'écran 2018-05-31 17.06.58.jpg

Les subjectivations, ce sont les façons dont se construit progressivement notre subjectivité singulière (notre esprit, notre personne, notre « âme » propre), telle que la sculptent nos interactions avec notre environnement naturel, technique et social. Votre vrai personnage – en fait celui qui compte dans l'écosystème numérisé actuel – découle de la composition de tous ces signaux que vous générez via les intermédiaires numériques (smarphones, tablettes, télé interactive, ordinateur, GPS, jeu vidéo,..) passés au crible d'algorithmes interprétateurs (si,si,alors..).

Ce faisant vous devenez majoritairement prévisible quant à vos habitudes de consommation (exploitation marketing), quant à votre santé (exploitation médicale et assurancielle), quant à votre richesse (exploitation bancaire), quant à vos tendances sexuelles (exploitation "relationnelle"), quant à vos inclinaisons socio politiques (exploitation électorale),… Ceux qui travaillent à ce data mining dans les silos de données peuvent le faire au profit d'enjeux économiques, d'enjeux financiers,… lucratifs ou rémunérateurs, mais aussi d'enjeux maffieux.

Il faut insister sur la massification de ce processus de virtualisation, massification en volume (Big data*) et en champ d'action (omni mémoire). En poussant le bouchon on pourrait imaginer que demain il n'existera qu'un seul  silo de données et qu'il contiendra toutes les informations concernant les individus. Ces derniers, vous, moi, seront obligés de passer par lui pour toutes leurs démarches et actions. De Big data à Big brother!

J'arrête de vous inquiéter avant de vous effrayer. Cette subjectivation des individus contribue à une modification profonde des sociétés.

Jadis (mais il n'y a pas très longtemps) nous évoluions dans une société traditionnelle parfaitement structurée. Levis Strauss et ses disciples ont démonté ce savant agencement de relations prédéfinies et régulées par des pouvoirs humains ou divins. Tout s'avérait déterminé et donc prévisible par tous les membres. Résultat, l'organisation et le jeu du pouvoir étaient d'une clarté absolue, avec des classes (catégories) prédéfinies et des destinées largement immuables.

Le libéralisme a, soit disant, libéré les individus en levant les obligations et les contraintes sociales pour les rendre plus contractuelles, tout en conservant un cadre juridique et normatif permettant une grille de lecture sociale stable. La démocratie, sous ses différentes formes, a permis la mobilité sociale et un certain partage de l'accès au pouvoir et à la richesse. Une certaine méritocratie (réelle ou fantasmée) permettait de motiver les individus selon une certaine compétition.

Le néo libéralisme génère une société liquide (Z. Bauman) dans laquelle les références deviennent souples, les frontières perméables et les situations évolutives. Dans cet univers mouvant seules les personnes "agiles" (nomades et dotés de certaines qualités) sont susceptibles de constituer une élite régulatrice.

Au delà, la technogouvernance qui se développe nous concocte un monde "gazeux", celui que nous avons évoqué ci-dessus, où les subjectivités virtuelles effacent les hiérarchies naturelles, structurelles ou électives pour créer une caste gouvernante d'initiés formée par les détenteurs des silos de données. Une caste car l'intermédiation des sociétés "classiques" disparaît pour laisser la place à une concentration des accès sur des nœuds de réseaux obligés (GAFSA). Nous n’avons plus besoin de passer par un disquaire pour obtenir de la musique, d’entrer dans une agence de voyages pour acheter un billet d’avion, d’aller au cinéma pour voir un film, d’appeler une centrale pour obtenir un taxi : l’échange de fichiers de pair-à-pair, la commande d’un billet sur Expedia, le téléchargement de films depuis Netflix, le réseau de chauffeurs connectés par la plateforme Uber court-circuitent, les diverses institutions qui servaient d’intermédiaires centralisant, filtrant, autorisant, reconditionnant les rapports entre désirs et disponibilités.

Au delà des big data silos de data structurées (ayant sens), commencent à exister des data lake (lacs de données) ** où l'on stocke tout ce qui est ou ressemble à des données, sans filtre et sans limite, gardées dans leurs formats originaux ou très peu transformées, pour constituer un stock non structuré d'informations de toute nature dans lequel viendront puiser des utilisateurs non définis.

Dans cet univers gazeux, il ne subsiste qu'un dernier obstacle à l'impérialisme de ces monstres concentrateurs numériques: le vote démocratique matériel (par bulletin papier). En effet, ce vote renvoie à l'individu concret, imprévisible par nature même si les algorithmes en ont fait une existence éthérée. Imprévisible quoique modélisé, manipulé, culpabilisé,… capable de voter le Brexit ou Trump!. Les pouvoirs en place (au moins en Europe) tentent timidement de "chevaucher le tigre" comme disait Aftalion en parlant des tentatives fortement improbables de régulation des phénomènes puissamment dangereux. Ils ont produit le RGPD (règlement européen concernant la protection des données personnelles) comme première salve pour organiser une gouvernance de la data**. Avec un sentiment d'impuissance plus ou moins avoué.

Voilà les faits! En l'état actuel des choses on n'y peut rien, la dynamique s'avère implacable et rapide au rythme de l'explosion des moyens mis en œuvre et leur caractère devenu indispensable***. Ce qui apparaît au plus grand nombre comme un progrès incontestable (notamment d'accès à l'information via le Web) n'est qu'un leurre tragique. Les gens pensent qu'ils maitrisent le processus parce qu'ils savent se servir des outils numériques. Erreur majeure! En effet pour Kittler**** le cantonnement de l’utilisateur à un niveau superficiel de fonctionnement de l’ensemble hardware-software est définitivement engagé au début des années 1980 avec la commercialisation par Intel du microprocesseur 80286, qui introduit un mode protégé à côté d’un mode réel de fonctionnement. Le mode protégé permet de contrôler que chacune des tâches ne déborde pas la portion de mémoire qui lui est impartie,... La contrepartie est que l’accès au microprocesseur est réservé à quelques utilisateurs privilégiés, ce qui signifie la victoire des langages de haut niveau, auxquels l’accès – jusqu’à un certain point – était autorisé entre les utilisateurs privilégiés et les autres. Quand le ministre de l'E.N. nous propose de nous sauver en apprenant aux enfants à coder, il s'agit d'une farce car un sur mille (et encore!) aura accès aux couches profondes des protocoles qui gèrent la virtualisation dénoncée.

Alors ce n'est pas la grève qui devrait représenter une exception dans le long fleuve tranquille de la société en cours de liquéfaction. Les grévistes se battent contre l'affaiblissement des structures (droit du travail, normes, statuts,..) alors que l'enjeu se trouve déjà un cran plus loin, celui de la gazéification sociétale. S'ils en possédaient les éléments, l'exception incompréhensible résulterait du fait que la majorité des individus concernés par cette confiscation définitive d'existence ne se révoltent pas.

* On peut définir les Big data, comme la masse de données désormais à disposition des entreprises, soit par leurs propres moyens (SI, CRM, LAD/GED, sites web, mails,...), soit par des intermédiaires / prestataires (Google, Facebook, ...). Mais c'est aussi la convergence de ces données au sein d'entrepôts de données ainsi que les moyens de traiter ces mêmes données (bases de données NoSQL). Les Big Data sont caractérisé par la réunion de 5 critères: Volume, Vitesse, Variété, Véracité (fiabilité), Valeur.

**  https://www.saagie.com/fr/blog/qu-est-ce-qu-un-data-lake-lac-de-donnees
*** Responsabilité des acteurs du RGPD: qui sera sanctionné en cas de violation des données personnelles ? www.france-charruyer.fr/
**** L’art média-archéologique. Une repolitisation de l’art Emmanuel Guez, Hybrid 3/2016

20/04/2018

UNE CHIMÈRE ASOCIALE

Dans les années soixante dix, le monde de la concurrence commerciale fut confronté à l'arrivée des super(hyper)marchés. Trois attitudes se manifestèrent:

. la réaction protectionniste incarnée par la loi Royer (1973) faisant obligation d'obtenir l'autorisation d'une C.D.U.C. (Commission Départementale d'Urbanisme Commercial) pour ouvrir des surfaces de vente de  plus de mille mètres carrés (1.500 pour les plus grandes villes) afin de préserver un équilibre en fonction de la chalandise.

. la réaction passive consistant, pour les petits commerces, à ne rien changer, supposant que les acheteurs privilégieraient d'eux-mêmes leur service, la convivialité, la proximité, le sourire de la crémière...

. la réaction adaptative cherchant à modifier intelligemment l'offre existante pour ne pas subir la concurrence de front.

On sait ce qui se passa: les CDUC furent complètement détournées de leur objet pour devenir une façon, pour les conseil généraux, d'obtenir des financements parallèles… et les autorisations furent légion! Les commerçants passifs disparurent les uns après les autres désertifiant dramatiquement les centres villes. Quant à ceux qui survécurent se furent les astucieux qui trouvèrent des positionnements originaux (ouvertures décalées, livraison à domicile, parkings, hyper qualité, discount sur les prix,…). On vérifie sur cet exemple les erreurs découlant d'une perception de la continuité des trajectoires dans le temps. Or l'avenir ne saurait se maitriser à partir du présent extrapolé, surtout aujourd'hui.Reliq.jpg

Cette (longue) digression pour affirmer que la France se trouve globalement à peu près dans la même situation que le commerce soixante dixhuitard.

Les  grosses machines industrielles que représentent les U.S., la Chine, la Russie, la Corée, le Canada, bientôt l'Inde et le Brésil s'imposent sur le marché mondial. Que l'on veuille ou non la France s'avère d'une dimension trop faible pour exister dans ce concert de géant. Les quelques fleurons industriels qui subsistent se situent dans la gamme de technologie ancienne (luxe, cosmétique, armes, agroalimentaire), hormis d'aéronautique et, à un degré moindre, l'automobile. L'Europe n'a pas suffisamment mis d'actions en commun pour constituer une alternative quantitativement ou qualitativement viable. Quant à la tentation de protectionnisme style Royer elle ne semble pas se trouver dans la panoplie des dirigeants européens actuels. Au delà elle ne pourrait, au mieux, que concerner que quelques secteurs (voire produits).

Dès  lors il me paraît assez improbable de "faire comme si". De penser que le Monde va persévérer sur sa trajectoire actuelle, plus quelques adjuvants prévisibles. E. Macron a beau jouer au gros bras et parler comme s'il avait en main un jeu gagnant, il ne possède au mieux qu'une position respectable mais fortement contestée par les socio-démocrates allemands. Et pas de stratégie différentielle de positionnement.

Prenons en exemple la lubie actuelle (Intelligence Artificielle) boostée par le rapport Villani. Le locataire de l'Élysée ne nous fera pas croire qu'en mettant sur la table un milliard et demi d'euros (en cinq ans)… et de belles paroles, il va faire des miracles sur ce champ de l'IA qui se heurte (déjà) ici à la protection des données. Les énormes machines chinoises, canadiennes (220 000 emplois en IA à Montréal) et bien sûr américaines (GAFSA) sont déjà en régime de croisière et disposent à ce jour d'une avance irrattrapable en matière de Big data, "carburant" indispensable pour l'IA. Les chercheurs français sont certes actifs mais payés à un tarif qui les rend (très) sensibles aux sirènes étrangères. D'autant que E. Macron a refusé que ceux dépendant du CNRS soient augmentés. Et tout à l'avenant, faisant de nous frenchies, des artisans, certes honorables voire géniaux, mais artisans tout de même au pays des monstres.

On pourrait reproduire l'analyse sur la plupart des technologies de faible modernité, mais surtout sur les socio technologies fortement innovante. Le Monde arrive à un moment clé proche d'une rupture majeure de trajectoire. Il ne s'agit pas de peurs fantasmagoriques mais d'une certitude "cahotique", d'une bifurcation. La seule chose prévisible peut se résumer dans le fait que cela va nécessiter des mises de fonds (en investissements) gigantesques pour faire face.

La lucidité indique donc qu'il existe un terrain de jeu T1 dont les dimensions en facteurs de production (travail, capital, facteur innovant) dressent des barrières d'entrées inaccessibles aux concurrents. Avec, en plus, un schéma de développement hyper concurrentiel et donc appuyé sur une productivité comme motivation première. En dessous, un terrain T2 dont les dotations diverses sont différentes en taille et en qualité, et enfin un terrain déshérité T3 dont les conditions lato sensu s'avèrent un handicap non seulement de développement mais même d'existence. 

A l'évidence la France se situe très majoritairement dans le groupe T2. Vouloir se faire plus grosse que le bœuf va implacablement obliger à opérer des efforts drastiques en terme de compétitivité donc, à court terme, de presser encore sur les salaires et réduire les charges sur les entreprises. Une trajectoire masochiste en quelque sorte pour la masse des français qui ne possèdent pas les armes ou outils d'adaptation à ce traitement darwiniste.

L'ambition "insensée" de Macron relève du pur libéralisme et peut s'illustrer par un renversement de la pyramide de Maslow. On sait que cette pyramide hiérarchise les besoins des individus, besoins physiologiques (survie), puis de sécurité (stabilité des situations), puis appartenance, puis estime, et enfin accomplissement de soi. Le Président nous propose (impose?) de faire de tous les français des compétiteurs accomplis et rentables dans une société liquide (Z. Bauman) en réduisant drastiquement les éléments de sécurité (droit du travail, services publics, salaire minimum,…). En d'autres termes jeter toutes les bouées pour se lancer dans les tourbillons de la mondialisation. Les perdants (non vertueux au sens des dirigeants) sont alors désignés et "éliminés salutairement" parce qu'ils freinent la marche en avant des vertueux. Le schéma est celui d'une manœuvre asociale masquée par un leurre de la course à la richesse*. Un transfert de risque du haut  (classes aisées lato sensu**) vers le bas.

Ne serait-il pas préférable d'exploiter (certes en l'amendant) notre respectable modèle socio culturel encore apprécié dans le Monde entier? J'ai pas mal voyagé dans ma carrière et partout on vante (encore) l'esprit républicain, une laïcité modèle, un art de vivre, un bien manger et bien boire, une histoire, des sites et châteaux, un sens de la fête,… C'est d'ailleurs paraît-il ce qui attire les touristes et… la haine des islamistes!

Plutôt que de courir après une chimère industrielle trop grosse pour nous ("monter en première division" T1), pourquoi ne pas privilégier une amélioration à notre portée d'un modèle qui fait rêver les autres? Selon nos avantages, nos moyens, notre habitus et notre savoir faire.

On va m'objecter le chômage. Mais qui peut soutenir que, d'une part, la stratégie actuelle maintient l'emploi et fournit un travail épanouissant pour la majorité? D'autre part, ce monde T1 est potentiellement un monde à numérisation avancée, boostant plus les robots que les individus. La seconde division sur le mode actuel amélioré (plus dans l'épanouissement que dans la productivité) offre pas mal d'avantages et, notamment, la pérennisation des acquis. C'est la différence entre un univers de TGV à faible salaire et à statut raboté avec une SNCF gérant moins de TGV et plus de lignes secondaires actives et innovantes pour maintenir la cohésion des territoires et les richesses touristiques.

On va m'objecter la concurrence internationale. Sauf qu'elle existe déjà et qu'elle nous fait passer sous les fourches caudines des bas salaires, du sacrifice écologique (glyphosate) et des technologies potentiellement mortifères. Il suffirait de s'en tenir davantage à des circuits courts ou à une économie circulaire majoritaire pour rétablir des habitudes consommatrices plus conformes à notre modèle historique.

On va aussi m'objecter que si on ne croit pas on périclite. Sauf qu'il existe plusieurs façons de croitre. Soit la forme majoritaire productiviste actuelle, soit une croissance qualitative et assurée par un meilleur contrôle. En exemple, une fonction publique mieux encadrée, mieux managée, donnant plus d'avantages que la suppression aveugle des postes à laquelle on assiste aujourd'hui. Il ne faut pas tomber dans le piège qui nous est ressassé que notre bien être va régresser si nous ne courrons pas avec les "grands". Croyez-vous qu'un monde où la pollution sera irrécupérable, où les services publics seront réduits au strict minimum minimorum, où les paysages seront dévastés, où les villes congestionnées, les océans stériles, où des néo maladies n'auront plus de remèdes,… constituent un rêve merveilleux?

On va encore m'objecter… plein d'arguments qui n'en sont pas puisqu'ils sont issus de la logique néo libérale dominante qui nous abreuve de sa propagande. D'une logique qui ne veut pas compromettre les retours bénéficiaires qu'elle en retire au profit de ses mandants (banquiers, gros actionnaires et autres rentiers financiers) quels qu'en soient les inconvénients… pour d'autres.

Les réticences, les blocages, les grèves,… ne doivent pas être pris avec le mépris macronien actuel. Elles manifestent un réel souci de préserver des structures dont on connaît les qualités et les défauts afin que l'on ne jette pas les unes avec les autres. La bouée empêche certes de nager vite… mais elle évite aussi de se noyer! Prendrons-nous le risque de la noyade pour une place qualificative… très problématique? Les "leaders" parlent de "pouvoir" et de "gains" à une population qui demande du sens et des valeurs, une identité et une vocation collectives.

Non, je ne suis pas devenu écolo brusquement! Je suis simplement effaré de voir la mise en pièce d'un modèle qui marche assez bien pour une chimère qui relève du penchant narcissique de nos élites gouvernantes (élus, technocrates, chefs d'industries). J'ai un moment cru que Macron pouvait apporter une approche plus systémique, inclusive de valeurs autres que la simple gestion financière du "progrès"***. À l'usage, son égocratie le porte à une ambition à mon avis outrancière pour le pays, induisant un risque majeur de dislocation, à l'instar du résultat des politiques structurelles que la Banque Mondiale a imposé aux pays en voie de développement. Espérons que j'ai tort!

 

* Henri Solans en fait une démonstration magistrale dans "L'économie politique mise à nu par la question sociale même. L'harmattan. 2008.
** Les "forts" qui sont ceux qui se suffisent à eux-mêmes, haïssent la socialité et cultivent la particularité, la privauté, l'individualité, la personnalité, la liberté. La sécurité grégaire leur est fardeau et entrave. Ils ne se construisent ni par les autres, ni avec les autres, ni pour les autres, ni contre les autres. Marc Halevy http://www.noetique.eu/billets/2016/lanimal-asocial
*** Une prise en compte de ce que K. Polanyi appelle le réenchâssement de l'économie dans la sociabilité. K. Polanyi La grande transformation. Gallimard. 1983