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11/12/2015

JE SUIS JAURES

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Les petits chefs de république, orphelins de leurs jouets préférés (le meccano de la monnaie, la bicyclette rose de la croissance, la poudre dorée de l'inflation,…) confisqués par une Europe castratrice, ont transgressé l'interdit de la boîte d'allumettes. Copieurs du géant américain, Petit Nicolas et Little François, ayant goûté à l'enivrant vent de l'épopée, vibré au son des cuivres martiaux et résonné aux tambours de la gloriole secrétée par les défilés, ont allumé le feu en Irak, en Libye, en Afghanistan, au Mali, en Syrie. C'était loin et, pour quelques points de plus dans des sondages trop faméliques à l'aune de leurs espérances, ils ont joué les capitaines de guerre. Se prenant pour les soldats de l'an II "Contre toutes les Tyrs et toutes les Sodomes, Contre le czar du nord, contre ce chasseur d'hommes,…"* ils ont lancé nos troupes, négligeant le sceau démocratique du parlement. L'épopée! Guerre juste bien évidemment, puisque portée par "la Marseillaise ailée" et arborant notre drapeau. Guerre contre les forces obscures du mal, bien sûr, porteuses de tous les péchés même si nous les avions fréquentées quelques temps plutôt. Ils ont même inventé un oxymore: la "guerre démocratique" !

Auparavant, leurs parents et grand parents n'avaient pas cru bon de partager (ou si peu!) le gâteau - notamment des trente glorieuses - avec des individus habitant de l'autre coté de la Méditerranée. Mais c'était avant hier, lorsque des dictateurs maintenaient d'une poigne de fer et en leur faveur un colonialisme plus ou moins larvé.Hier, alors que la télé déversait dans les gourbis, dans les souks, dans les ghettos de pauvres, l'image de nos fastes européens, ces "gens" survivaient à une heure et demie de nos côtes. Développement? Quel développement? Les politiques qui savent toujours choisir les savants qui les arrangent produisaient les théories de Rostow, de Lewis, de ceux qui prônaient la productivité des facteurs. Incitaient au "rattrapage". Les autres, Samir Amin, André Gunder Frank, Arrighi Emmanuel,… qui dénonçaient l'échange inégal, se trouvaient ravalés au rang inaudible d'agitateurs patentés, voire, suprême insulte, de marxistes. Pourtant, même Braudel évoquait le caractère asymétrique de l'échange et ces marges périphériques au sujet desquelles il disait que "la vie des hommes [y] évoque souvent le Purgatoire, ou même l’Enfer", la "Mal-Vie" selon le terme inventé par Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH**.

Aujourd'hui, le pas est franchi et les exclus viennent de gré ou de force soit tenter de prélever leur écot, soit pourrir de l'intérieur ce système jugé aliénant, soit même s'employer à le châtier.

Qui dénonce cette responsabilité historique majeure?  J'aimerais pouvoir appliquer à nos dirigeants va-t'en-guerre cette remarque de Jaurès: "J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cherche à tourner au profit d’une victoire électorale, si précieuse qu’elle puisse être, le drame des événements"***.

Résultat de ces agitations guerrières dénuées de sens (j'entends par sens une vraie perspective historique et non une réponse au jour le jour tyrannisée par l'actualité) découle que le conflit s'invite sur notre sol, au cœur même de nos métropoles. Hé oui, la guerre c'est laid, ça tue… partout!

A tout ce qui vient d'être dit se rajoute un prétexte religieux car il faut toujours un ciment aux factions. Et via ce ciment factieux l'hydre s'est déployée, monstre froid et théâtralement cruel. Cette hydre paraît invincible surtout quand on la combat à moitié, ou au quart, via des avions ou des drones bombardant les lézards et les fennecs du désert. Elle s'avère même attrayante pour des jeunes "résistants" qui cherchent un sens, pas forcément à leur vie, mais à leur mal être. Un monstre à plusieurs têtes dont on ne sait pas qui le dirige, capable donc de multi localisations, un monstre riche de surcroit, auquel on ne peut pas s'affronter directement.

Face à cette hydre nos little généraux paraissent bien désarmés et leur agitation gesticulante  bien dérisoire. D'autant plus que les copains ne sont pas, pour l'instant, très volontaristes pour un combat commun, même s'ils ont souvent fortement contribué à nourrir le monstre!

Le Moyen Orient représente nos Balkans modernes. L'islamisme a été traité trop tard et mal, comme il en a été de l'hitlérisme. Souvent à cause d'un brouillard capitaliste qui anticipait de lucratives situations et qui circonvenait une presse traditionnellement du côté des puissants.

La guerre ne fera rien pour résoudre l'affaire, sauf à broyer encore des milliers de vies. Les guerres ne solutionnent rien, le contraire est un mythe entretenu. Elles ne servent qu'à des catharsis de violence. In fine, il faut toujours se mettre autour d'une table et construire une nouvelle situation acceptée par les parties. Il n'y a jamais vraiment de gagnants, ni de perdants hormis tous ceux qui sont restés sur "le théâtre de l'action". L'interlocuteur? C'est lui-même qui se désigne "État", piégeons-le dans ce statut qui s'avère plus "pratique" pour nous que des terroristes autonomes, mobiles et donc insaisissables. Il faudra certes lui donner un morceau de territoire. On discutera le bout de gras pour constituer trois "morceaux": le califat (Désert de part et d'autre de l'Euphrate), la bande littorale alaouite (Lattaquié et Tartous) où l'on pourra exiler Bachar et la Syrie restante. Les kurdes faisant encore chou blanc. Je vous parie que ce partage est déjà acté dans les têtes de la realpolitik.

"Je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au moment où nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces… et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte l’horrible cauchemar"***

S'il existe un père Noël je le supplie de nous apporter ce cadeau miraculeux, cette paix des braves auquel les mêmes milliers d'hommes et de femmes de toutes couleurs, de toutes religions, aspirent.

 

* Victor Hugo. Les soldats de l'An II. Les châtiments.

** Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme. La « mal vie » est symbolisée par le phénomène des harragas, qui préfèrent au péril de leur vie, tenter de gagner l’autre rive de la Méditerranée pour échapper à cette situation.

*** Dernier discours Jean Jaurès, Lyon-Vaise, le 25 juillet 1914

18/11/2015

ADIEU RENÉ, ET GRAND MERCI…

Ces derniers  temps (le 04/11), s'est éteint à quatre vingt onze ans, René Girard anthropologue (ou peut être philosophe, ou peut être…), professeur émérite à Stanford (Californie) et membre de Académie Française. Cet Avignonnais d'origine est peu connu en France mais son œuvre est considérable*.

Déjà vous vous dites, qu'est-ce cette familiarité d'appeler par le prénom un tel personnage! Et vous avez sans doute raison sur le plan formel, puisque, hormis une entrevue autour d'un verre de rouge, à Castries lors d'une de ses conférences, je n'étais point familier de l'homme. Mais, R. Girard, je l'ai tellement utilisé dans mes cours ou autres interventions qu'il reste pour moi une ressource référentielle. C'est rare, en effet, que l'on trouve une telle "clé à molette intellectuelle" qui ouvre toutes les serrures ou quasiment! René Girard permet de démonter (déconstruire) magiquement tous les problèmes sociétaux et donc, il vous rend intelligent.

daee49d3d499902b43f01df77c1d108c.jpgPour faire le plus simple possible, disons que le "meccano" girardien repose sur le concept de "désir mimétique" qui est le moteur de la violence, violence qui sous tend toute société. Cela se traduit par le fait nous ne désirons que ce que l'autre désire**. C'est le regard de l'autre qui nous révèle notre propre désir, et désirant le même objet, une rivalité, un violent conflit s'instaure. Pour peu que les membres du groupe expriment un même désir (indifférenciation) il s'en suit une concurrence qui va crescendo et qui peut conduire ledit groupe (la société) à la crise, voire à l'implosion. Pour éviter cette issue apocalyptique, la société en ébullition va désigner un "bouc émissaire"… et le sacrifier. Après cette catharsis le calme sociétal est rétabli. L'objet de la crise est élevé au rang de mythe et on le réitère par le biais de rites destinés à rappeler le danger encouru. Comme dans les tragédies grecques le sacrifice du bouc émissaire fonde donc l'ordre social. Mais comment est choisi cette "tête de turc"? Au hasard ou quasiment, nous dit Girard, simplement par le fait qu'il est différent: sorcière, noir, juif, protestant, idiot, intelligent, étranger, arabe, blonde, boiteuse,… En effet, dans le « lynchage originel » programmé par le groupe, celui-ci doit ignorer que la victime est innocente ; il faut qu'il la croie coupable. On est loin du contrat social de Rousseau, mais sans doute est-ce plus réaliste. Et de nos jours, les hommes se sont toujours entendus pour trouver des boucs émissaires (colonialisme, nazisme, stalinisme,...) et la violence n'a jamais cessé.

Dans cet hyper digest girardien, je vous épargnerai la (grosse) part afférente à la religion dont le message principal apparaît dans le caractère paradoxal du sacrifice de Jésus. Car ce dernier n'est pas un bouc émissaire comme les autres: tel Socrate, il s'est désigné lui-même révélant la supercherie. La crucifixion est donc l'ultime sacrifice qui rend tout sacrifice absurde en démontant le mécanisme girardien***.

Passons, pour nous intéresser plutôt à la notion qui est moins exploitée, celle s'indifférenciation. Le désir mimétique ne représente un réel danger que s'il produit une tendance faisant que les individus arrivent à se ressembler. En se ressemblant ils augmentent d'autant la tension violente qui les anime. Paradoxalement, lorsqu'il existait des classes sociales marquées, chacun se situant dans sa classe référentielle ne jalousait pas l'autre différent. L'ouvrier ne jalousait pas le patron qui ne jalousait pas le paysan. Il l'enviait mais ne le jalousait pas, c'est différent. Le premier terme induit une certaine dynamique, celle qui le ferait accéder au statut de l'autre enviable, non pas à sa place mais à son côté, selon la dynamique de la progression sociale méritée, en quelque sorte. Le second terme appelle la violence puisqu'il introduit la compétition sur un objet de désir. Un jeu à somme positive d'un côté, un jeu à somme nulle de l'autre, une affirmation contre une révolution.

Muni de ce meccano vous pouvez vous attaquer à toute crise sociétale, sociale, entrepreneuriale, sportive,… et faire surgir des ressorts souvent occultés afin de donner un diagnostic efficace. La procédure girardienne était-elle la panacée? Est-elle véritablement fondée? Certains critiquent, certains en doutent, certains en rient. Pour ma part je peux attester qu'elle m'a servi à faire des analyses qui tenaient la route au delà de leur aspect séduisant. Alors que demander de plus?

Deux exemples en vitesse pour vous en convaincre.

D'abord jetons un regard décalé (girardien) sur le vote démocratique. Ne peut-on pas assimiler l'élection du président de la République (entre autre scrutin) à un acte sacrificiel laïque? Comme les programmes politiques sont maintenant pratiquement indifférenciés, les électeurs majoritaires "sacrifient" anonymement (vote secret) l'un des candidats pour retrouver un certain "calme socio économique" pendant cinq ans. La société se ment en disant qu'elle choisit un président alors qu'elle lynche l'un des deux survivants du premier tour: Giscard, Jospin, Sarkozy, ont subi cette élimination. La démocratie n'est donc pas une invention originale, elle est au contraire le prolongement du système sacrificiel qui fonde l'humanité depuis son origine, comme le suggère Jean-Pierre Bernajuzan dans une critique du Monde (08.04.10). Cela donne à réfléchir!

On peut aussi "transgresser" Girard (mais ses derniers écrits le laisse penser) en avançant que les groupes (sociétés) ont analysé le système de sa mimétogonie et se sont prémunis contre lui en usant de l'auto victimisation. Pour l’O.N.U., "On entend par VICTIMES, des personnes qui, INDIVIDUELLEMENT ou COLLECTIVEMENT, ont subi un préjudice,… une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux,…". Partant de cette référence on peut imaginer que certaines entités se présentent comme victimes expiatoires de problèmes sociétaux dont elles ne sont pas vraiment responsables et, ce faisant, cherchent à échapper à une "exécution" (condamnation lato sensu) potentielle. En s'auto désignant elles bloquent le processus girardien. Les minorités (politiques, ethniques, religieuses) usent de ce stratagème pour attirer la compassion et éviter le procès en différence qui pourrait leur être fait. La rouerie est collective mais les membres du groupe adoptent cet état victimaire. Ce qui entraîne des ressentis d’exclusion, des recherches d’identité, des comportements volontairement déviants, la surévaluation des échecs (affectifs, professionnels) ou des critiques à leur encontre. Et un piège pour le reste de la société qui ne peut "raisonnablement" sanctionner sans être perçue comme partisane!

On se retrouve donc confronté à un concert de victimes en lieu et place du schéma classique agresseur(s)-agressé(s) beaucoup plus lisible. En Syrie, qui est le plus victime Assad? Les anti Assad? Les Alaouites? L'E.I.? Les sunnites? Les chiites? Les chrétiens? Les Kurdes?... Tous montrent la méchanceté de  l'Autre qui les violente selon des scénarii parfaitement orchestrés via des médias spécifiques (images, vidéos, tracts, journaux). Idem en Palestine, idem en Ukraine,… R. Girard nomme cela la “montée aux extrêmes”, chacun, dans ce combat, étant persuadé que l'autre est le véritable agresseur tandis que lui-même ne fait que se défendre. Je vous laisse dérouler votre imagination afin de mettre des noms sur les acteurs potentiels!

 On peut ainsi jouer avec la grille de lecture girardienne quasiment à l'infini, pour tenter de donner sens à incompréhensible. Pour tenter de lire globalement, c'est à dire hors des cadres qui nous sont familièrement imposés par un monde de sagesse au détail, mais de folie en gros****. Comme l'attestent les attentats du 13.

"Je définis le monde moderne comme essentiellement privé de protection sacrificielle, c’est-à-dire toujours plus exposé à une violence toujours aggravée qui est, bien entendu, la sienne, notre violence à nous tous" (R. Girard. Les origines de la culture. Fayard. Pluriel. 2011).

Merci, René!

* Il pouvait prétendre au Nobel de littérature, mais ses théories manquaient de ce consensus mou des biens pensants qui font les vainqueurs propres sur eux à défaut d’imagination. "L’ultime désir de René Girard" http://cervieres.com/tag/sciences-humaines/

** On peut faire référence à a cette phrase de Shakespeare dans ses Sonnets : " Tu l'aimes, toi, car tu sais que je l'aime. "

*** certains diront que cette "amputation" est insensée. Je crois pour ma part à l'inverse que l'on peut être tout à fait d'accord sur une très grande partie de la thèse de R. Girard en la laïcisant.

**** dixit Peter Thiel, un des étudiants de Girard à Stanford, créateur de Paypal et contributeur de Facebook et Likedin.

 

15/11/2015

A CEUX DE PARIS... ET D'AILLEURS

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